Banqueroute

Banqueroute est une proposition originale d’Art au Centre[1], répondant à l’invitation d’Yves Randaxhe d’investir l’exposition Private Views afin d’engager une réflexion autour de la collection d’art et de ses enjeux actuels vis-à-vis de la création contemporaine. Élaboré comme un parcours complémentaire à l’exposition centrale, cet itinéraire « bis » donne la parole à une quinzaine d’artistes, permettant d’ouvrir un dialogue entre deux pratiques hétérogènes voire paradoxales et pourtant indispensables à la survie de l’art : celles du collectionneur (public ou privé) et de l’artiste.   [1] Art au Centre, créé en 2019, investit les cellules commerciales vides de la ville de Liège pour y présenter un parcours artistique (www.artaucentre.be).  

Le projet prend la forme d’un parasitage fécond, où deux organismes coexistent dans une forme de relation qui, bien qu’elle semble négative pour l’hôte du parasite, s’avère nécessaire à son équilibre, à l’image du champignon, capable d’émerger dans des environnements perturbés[2]. Un ensemble d’interrogations se dégagent dès lors de la confrontation. Que collectionnons-nous et pourquoi ? Quel poids la collection porte-elle sur la création ?? Quelles valeurs accorde-t-on à la collection, à la création en général ?

Gardant à l’esprit la diversité de l’ensemble de ces pratiques, l’exposition Private Views donne la parole aux collectionneurs liégeois ; tandis que Banqueroute traite le sujet à partir de la voix des artistes, les « producteurs » de toutes collections. Les œuvres se logent volontairement dans la marge et dans les interstices de la scénographie et du musée, clin d’œil à la position marginale et souvent précaire imposées aux « travailleurs » et aux « producteurs » de la culture. Ce positionnement singulier fait également écho à la création lorsqu’elle sort de la norme des collections, du marché de l’art ou des institutions. L’art se doit-il d’être vu, collectionné ou légitimé pour exister ? Banqueroute propose un parcours discret où le visiteur est poussé à l’action physique, intellectuelle et sensorielle afin de produire une expérience élargie tournée vers notre capacité d’attention à l’autre.

Les œuvres ouvrent deux axes de réflexion. Les sculptures de Charlie Malgat, de Maria Vita Goral et de Julia Gault interrogent la pérennité matérielle induite par la conservation d’une collection. Quelles places tiennent, dans les collections contemporaines, les œuvres dont la matérialité serait soit ponctuelle (protocole, performance, installation), soit vouée à disparaître (œuvre éphémère, utilisation de matières périssables) ? Le second axe induit un déplacement d’une valeur a priori financière, patrimoniale et marchande de l’art, vers des valeurs sociales, poétiques ou politiques. Arthur Cordier, Joséphine Kaeppelin, ou Harriet Rose Morley évoquent le statut fragile de l’artiste en reconsidérant leur position au sein de systèmes de communication et de production. Carole Louis, Marjolein Guldentops, Julie Gaubert, Emile Hermans, Alicia Kremser, Cathleen Owens, Yue Yuan et Jean-Marie Massou mettent en scène, avec poésie ou dérision, des interventions artistiques rappelant notre quotidien, de façon parfois à peine visible, se jouant de notre perception tout en insinuant la perte ou la désillusion sociale et politique de notre époque.

Banqueroute ouvrira un week-end, de performance et d’activation du 30 juin au 2 juillet 2023, se terminant sur un dîner « performatif » où l’ensemble des convives sont assis autour d’une table pour partager, en plus d’un repas, des idées, des questions, des frustrations, etc.

Banque, route (de l’art), (être au) ban (de la société), banca rotta (faire faillite) ou banqueroute ! Un appel à partager, le temps d’une exposition, au sein de cet outil magnifique qu’est la Boverie, des questionnements, des débats, des ébats, et tout autre aventure qui permettrait d’envisager la création comme une dernière zone libre, à partir de laquelle nous pourrions interroger de façon singulière, individuelle ou collective les systèmes de force qui régissent notre monde contemporain.

[2] Comme le rappelle les écrits d’Anna Tsing qui interroge « les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme » (voir Le champignon de la fin du monde, Paris, Éditions de la Découverte, 2017).

 

Programmation vidéo
John Baldessari
(1931-2020, USA)
I Am Making Art (1971) 18’46’’
En 1970, l’artiste californien John Baldessari a effacé sa propre formation de peintre en un seul geste spectaculaire : il brûle l’ensemble de ses toiles de 1953 à 1966 dans un crématorium de San Diego, transformant les cendres en biscuits, qui seront ensuite exposés au Musée d’art moderne dans le cadre de l’exposition Information, qui a fait date.

L’année suivante, l’artiste a réalisé cette vidéo pleine d’esprit. Dans cette vidéo, Baldessari – une figure imposante d’un mètre quatre-vingt-dix – marche devant l’objectif, ses jambes coupées au bas du cadre. Avec une irrévérence pince-sans-rire, il fait une série de gestes sans affectation face à la caméra, répétant d’une voix monocorde la même phrase à chaque fois qu’il prend une pose : « Je fais de l’art ». Ces actions ironiques ne font pas seulement la satire de l’art de la performance, alors en plein essor, mais soulignent également la notion moderniste selon laquelle tout acte peut être considéré comme une œuvre d’art.

Bien que I Am Making Art paraisse aujourd’hui délicieusement simple, elle a été produite avec un équipement qui était alors à la pointe de la technologie : un système d’enregistrement Sony Portapak, introduit en 1967. Cet appareil grand public, abordable et portable, est rapidement devenu l’outil préféré des artistes pour produire des œuvres dans le nouveau média qu’est la vidéo.

 

Messieurs Delmotte

(1976, BE), Vit et travaille à Anvers (BE)

Le Clou (1998), 3’40’’

 

Messieurs Delmotte se positionne quelque part entre la réalité et l’imagination, entre le génie et le dilettantisme. Se distinguant par un code vestimentaire formel, un visage impassible et des cheveux méticuleusement peignés, Messieurs Delmotte se présente comme un personnage fringant (un double) qui surprend son public par des découvertes gestuelles imprévisibles et absurdes. Pourtant, cette gaieté et ce non-sens trahissent une révolte existentielle et poétique. Messieurs Delmotte s’engage dans un combat hilarant et héroïque avec les objets, les hommes et les animaux. Ce faisant, il ébranle « les règles du jeu ».

Toujours ironique à l’égard du monde de l’art, Messieurs Delmotte explique comment sa pièce a été retirée d’une exposition au profit d’un autre artiste. Il ne reste plus que le clou.

https://messieursdelmotte.net/

 

Joséphine Kaeppelin

(FR, 1985), Vit et travaille à Heerlen, NL

Elles ont un plan (2022), 19’

 

Avril 2021, Joséphine arrive à Bataville pour infiltrer l’équipe de recherche de la fabrique autonome des acteurs. Elle se donne comme mission, sur toute la saison, d’observer et d’écrire ce qu’elle voit et comprend de ce que les actrices font au travail. Résultat : elle écrit plus de 200 textes courts souvent par la dictée à l’aide d’un dictaphone.

En 2022, Joséphine choisit une vingtaine de textes courts pour les dire face caméra.

 Le résultat : c’est la vidéo Elles ont un plan. Une vidéo, en plan fixe, structurée par chapitres successifs (la figure, la position, la tenue, les compétences, l’image mentale) qui parle du travail d’un groupe d’individus.

https://www.josephinekaeppelin.com/

 

 

Eve Gabriel Chabanon,

(1989, FR) Vit et travaille à Bruxelles

Mon seul défaut est de durer trop (2018), 11’44’’

 

En 2018, Ève Chabanon était invitée par le Frac Grand Large à effectuer une résidence au sein des écoles municipales d’art de Beauvais, de Denain et de Saint-Quentin, dans le cadre du programme Archipel. Au gré de ses rencontres, elle s’est plus particulièrement intéressée aux musées présents sur ce territoire intérieur des Hauts-de-France. Relativement nombreux et diversifiés dans leurs domaines d’attribution, ceux-ci sont confrontés à des situations économiques et politiques souvent difficiles. Impératifs de fréquentation, non-remplacement de postes, voire absence d’espace de monstration condamnant une collection à l’invisibilité, figurent au nombre des faits constatés. Dans un contexte où le fonctionnement même de certaines institutions apparaît singulièrement fragilisé, Ève Chabanon a agité le spectre d’un incendie fictif et soumis les équipes à une question… À la fois simple et ardue, elle leur a été posée enrobée d’une courte histoire, en conclusion de quelques bons mots relatifs à un terrible choix à opérer entre la sauvegarde d’un Rembrandt, ou celle d’un chat: «Et vous, dans un incendie au musée, quel objet sauveriez-vous?»

https://www.fracgrandlarge-hdf.fr/app/uploads/2021/02/190320-edition-nume%CC%81r

 

 

Dainius Liskevicius,

(1970, LT), Vit et travaille à Vilnius

 

La Caricature (2009), 5’30’’, vidéo performance

 

La vidéo « La Caricature » réalisée d’après le dessin de Vitalijus Suchockis, célèbre caricaturiste lituanien, publié dans le magazine humoristique « Šluotos kalendorius » (Vilnius, 1971). Cette caricature de l’époque soviétique reflète ironiquement l’attitude de la société à l’égard d’un artiste et de la créativité de l’époque. Cependant, cette attitude prévaut toujours dans la conscience post-soviétique de nos jours.

Dainius Liškevičius appartient à la génération d’artistes ayant contribué de manière significative au renouveau de l’expression artistique après la restauration de l’indépendance de la Lituanie. Ses œuvres sont caractérisées par l’engagement social, la contextualité, l’ironie et la critique sociale. Réagissant à la topographie d’un lieu spécifique, il examine le comportement et l’expérience humaine, l’identité et les valeurs culturelles, les collisions entre les espaces publics et privés et la mémoire collective et personnelle. En 2015, Dainius Liškevičius a représenté la Lituanie à la 56e Biennale de Venise, où il a présenté son Museum Project. En 2021, l’artiste a reçu le prix national lituanien pour la culture et l’art.

www.liskevicius.lt

Arthur Cordier

Notice

 Don’t Worry, Painters With a Hat, installation, 2023

Le temps ne brûle pas, installation in situ, 2023

 

Sous une forme ludique ou pseudo-analytique, Arthur Cordier mélange les codes visuels de l’économie de consommation en utilisant l’efficacité des stratégies commerciales contre elle-même, de manière tautologique et souvent parasitaire. Il rejoue l’esthétique de la bureaucratie, de l’esprit d’entreprise et de l’efficacité par le biais d’œuvres relationnelles, situationnelles ou contextuelles, lui permettant d’insister sur l’économie de la pratique artistique dans une société axée sur la production.

 

Accrochée à la cimaise, Don’t Worry (2023), casquette verte arborant le slogan « don’t worry just a hobby » joue avec les codes du branding tout en se confrontant à la posture de l’artiste dans le contexte d’ultra professionnalisation de la pratique artistique. Portée fréquemment pour peindre, la casquette situe également l’artiste comme participant au groupe « people who paint and wear hats », invitant de façon informelle plusieurs artistes à questionner la peinture contemporaine. Déjouer l’uniforme ou l’accessoire de travail pour l’amener à parler d’art et de création.

Le temps ne brûle pas (2023) est une installation réalisée pour le local du personnel au sous-sol du bâtiment. Cette réalisation a été pensée pour l’équipe du musée et ne sera visible que par ses membres.

 

https://arthurcordier.cargo.site/

 

Julie Gaubert

Notice

Mauvaises graines, installation, orties, vidéo, 2022

 

 

Mauvaises graines (2022) de Julie Gaubert est une installation composée d’une culture d’orties. « Plantes délaissées, sur les bords des trottoirs et des routes, ayant pour seule compagnie des déchets et des pots d’échappements : les orties résistent. Vivaces et robustes, elles s’adaptent, guerrières des temps hostiles. »[1] La présentation de celles-ci dans le cadre institutionnel de l’exposition pose la question : sont-elles encore sauvages ? Un geste de l’attention et du soin qui revalorise le statut symbolique de l’objet. Proliférant généralement dans des espaces en jachère tout en participant de façon discrète à notre écosystème, ces « mauvaises herbes » déplace notre regard vers un système de micro-résistance et d’autonomie. « Les Mauvaises graines de Julie Gaubert ont donc certainement une dimension poétique, mais elles sont aussi l’expression d’une biopolitique des êtres à la marge qui revendiquent leur indépendance. »[2] L’œuvre s’inscrit dans une pratique du décloisonnement entre actions, sculptures et vidéos que Julie Gaubert construit à partir d’une remise en question des structures hiérarchiques de dominance. L’œuvre n’agit pas comme une fin en soit mais comme un moyen de dégager des instants poétiques et politiques visant l’action et le débat.

 

https://www.juliegaubert.com/

https://www.instagram.com/dimensions_variables/

[1] Notes de l’artiste, 2022

[2] Florian Gaité, 2023, extrait du texte écrit dans le cadre d’Antichambre, exposition de Julie Gaubert, sortie de résidence Tremplin accompagnée par l’espace croisé et soutenue par la DRAC des Hauts-de-France.

Julia Gault

Notice

Où le désert rencontrera la pluie, Installation, terre crue, étagère métallique, 2023

 

Le travail de l’artiste confronte, de façon récurrente, la mise en forme transitoire de matériaux naturels à la froideur et l’inertie de structures métalliques. La malléabilité et le changement font face à l’immobilisme. Les notions de territoire, d’habitat, de résilience et d’effondrement sont tour à tour abordées dans cette approche subtilement politique.

Dans son œuvre Où le désert rencontrera la pluie (2023), la terre crue devient l’élément constructif et narratif tandis que l’eau y est l’élément activateur. Les récipients porteurs d’eau vont se déliter au fil de l’exposition, nous confrontant à un ensemble de ruines en train de disparaître sous nos yeux.  L’impensable thèse d’une civilisation mortelle trouve un écho poétique dans les sculptures et les installations de Julia Gault. L’utilisation de matériaux impermanents pose la question de la conservation d’une œuvre volontairement non-pérenne. Une œuvre processuelle et difficilement « muséifiable ».

 

https://juliagault.com/

Maria Vita Goral

Notice

La pratique multidisciplinaire de Maria Vita Goral convoque des objets et des images de notre quotidien pour faire surgir des questions d’ordres historiques, symboliques, émotionnelles voire anthropologiques. Elle traduit de façon plastique le mouvement permanent du monde, des choses, des idées qui nous entourent, favorisant l’instabilité, la disparition, l’éphémère.

Faisant écho à son histoire personnelle, ce statut de déplacement perpétuel se concrétise également par le motif de la route. L’œuvre présentée au sein de Banqueroute reprend ce motif comme une traversée des états rappelant entre autres le passage inexorable du temps. La route (2018) est une installation performative composée de pigments enfermés dans des blocs de glace jouant la forme des pavés. Construisant un chemin évanescent devant l’entrée du Musée, l’œuvre disparaîtra en seulement quelques heures. Un geste laborieux et poétique, gratuit et absurde, une opposition claire aux injonctions productivistes de notre époque. La route ouvre la voie vers un questionnement introspectif sur notre capacité d’agir sur la réalité. Un protocole de l’œuvre sera présenté dans l’exposition tandis que son activation se déroulera le week-end du 30 juin au 2 juillet 2023.

 

https://www.instagram.com/mariavitagoral/?hl=fr

Marjolein Guldentops

Notice

Bureau of Lost Causes, 2021, Installation et performance, rolodex, 100 cartes de visite, machine à écrire, bureau, lampe, rouleau de papier

Lost and found, 2023, Installation, vinyle, 21 x 160 cm

 

 

 

Marjolein Guldentops utilise, dans sa pratique d’artiste et d’auteur, le concept de ‘worlding’, grâce auquel elle étudie la relation entre le langage, le contexte culturel et les flux urbains qui façonnent nos perceptions de l’environnement. Elle donne un corps plastique au langage. L’installation Lost and found (2023), explore sous la forme d’un poème, une ode à la fluidité, les multiples facettes et connotations du verbe ‘perdre’.

Son processus créatif consiste également à réaffecter des éléments de la culture d’entreprise, tels que des bureaux et des codes administratifs, afin de déplacer les notions liées à leur fonctionnalité et à leur signification. Le Bureau des causes perdues (2021), est une performance immersive autour d’une conversation basée sur le partage d’expériences personnelles. L’artiste détourne la froideur générique de l’outil administratif pour s’intéresser à la valeur que nous accordons aux choses que nous avons perdues et à la manière dont nous faisons face aux sentiments de désorientation ou d’incertitude qui y sont liés.  Conçue comme une enquête, la rencontre entre l’artiste et le visiteur est enregistrée sur un long rouleau de papier, se changeant de façon simultanée en documents ‘vivants’.  L’œuvre insiste sur la relation spécifique qu’elle tisse avec chacun des visiteurs, se cristallisant autour du dialogue entre l’artiste et son public. En résonnance avec le parcours de Banqueroute, l’artiste investiguera notre rapport avec les grands récits, notre patrimoine culturel, les notion d’inventaire ou de mysticisme.

 

https://www.marjoleinguldentops.com/overview-artwork

Emile Hermans

Notice

Seeing is believing, 2018

Installation, dummy camera, LED’s, 12 x 12 x 8 cm

 

It is certain ! Est une des réponses les plus emblématiques de la Magic 8-Ball. Celle auprès de qui toutes nos questions trouvent une réponse. Que demander de plus ! Pas besoin de boule de crystal pour voir l’avenir, il semble tout tracé. C’est du moins ce que pourrait nous faire penser l’installation d’Emile Hermans. Un avenir sécurisé, sécuritaire, qui détermine déjà nos futurs comportements. Seeing is believing interroge nos systèmes de croyances, de superstitions, de certitudes et la limite de celles-ci. Un système global de contrôle qui s’insinue jusque dans nous souhaits les plus chers.

 

http://www.emilehermans.com

 

Joséphine Kaeppelin

Notice

Tourner en rond, 2018, tapis, 300 x 150 cm.

Extraits de procès-verbaux, 2022, 36 cartes postales, 10 x 15 cm, disponibles en français, néerlandais et allemand.

Elles ont un plan (They have a plan), 2022, vidéo, 19 min.

 

Vous allez peut-être fouler du pied l’oeuvre Tourner en rond de Joséphine Kaeppelin. En effet, il s’agit d’un tapis semblable à ceux qui ornent les devantures d’entreprise ou de boutiques. Un outil de marketing et communication, détourner par l’artiste pour y retranscrire une série de verbes nous invitant au jeu et à l’action, issus d’un processus d’audit mené par l’artiste. Ce sont les mondes du travail et les individus qui les peuplent qui intéresse l’artiste-prestataire : leurs ressentis, leurs expériences, leurs sentiments. Depuis 2017, Joséphine Kaeppelin endosse le rôle de prestataire de services intellectuels et graphiques, élargissant la question au travail de l’artiste, de la femme artiste et mobilisant avec ironie les codes du libéralisme contemporain. Les cartes postales Extraits de procès-verbaux et le film Elles ont un plan, présenté durant le week-end d’activation, naissent tous les deux dans le contexte de la Fabrique Autonome des Acteurs (la FAA) installée à Bataville. L’artiste infiltre l’équipe, devenant tantôt observatrice, tantôt enquêtrice et capture à l’aide d’un dictaphone un ensemble de phrases ou de courts textes qu’elle retranscrit. Ces deux œuvres agissent également comme des ‘ouvroirs potentiels’ de situations. A partir du texte et du langage, Joséphine Kaeppelin induit un glissement, come un jeu de miroir qui inclurait d’autres manières de voir, captant notre attention pour mieux nous pousser à l’action. “C’est toujours bon de se faire déranger“, comme si le monde venait nous taper sur l’épaule, pour nous montrer de nouvelles choses. Il faut garder les yeux ouverts. (…) C’est la condition pour rester vivant.es se faire déranger.“[1]

 

 

https://www.josephinekaeppelin.com/

[1] Notes à partir de l’ouvrage de Julie Abbou « Tenir sa langue. Le langage, un lieu de lutte féministe », Editions les Périgrines, 2022.

Carole Louis

Notice

La monnaie de ta pièce, 2023,

Installation in-situ, élastiques en latex, sac, pièces de 1 cent

 

 

L’installation de Carole Louis risque de vous attendre au tournant. Outil volontiers rapproché de la fronde populaire ou du jouet d’enfant, c’est un lance-pierre surdimensionné qui nous accueillera dès l’entrée du musée. L’artiste se décrivant elle-même comme clown et guerrière, n’aurait pu trouver meilleur accessoire. Pourrions-nous envisager l’œuvre d’art comme un moyen et non une finalité ? Il deviendrait le lieu de nouvelles transactions qui pourraient dépasser l’ordre esthétique ou financier, pour aller vers une forme d’émancipation ou vers un facteur de trouble, de remise en cause. Sous la forme ludique de la désobéissance ou sous une forme plus politique de la révolte, l’œuvre La Monnaie de ta pièce (2023) insinue avec humour et sarcasme un questionnement sur le ‘rôle’ ou le ‘statut’ de l’artiste, rappelant l’adage bien trop connu dans la culture d’ « être payé au lance-pierre ».

 

https://carole-louis.net/

Alicia Kremser

Notice

Blurred boundary moment, Installation in-situ, Vinyle, dimensions variables, 2023

 

Si l’efficacité, le succès ou le rendement peuvent se porter fièrement en société comme un signe de fiabilité, il n’est pas toujours aisé d’aborder publiquement nos limites et nos incertitudes. L’œuvre d’Alicia Kremser transforme l’espace d’exposition, le musée, en un lieu d’ouverture et d’intimité partagée. Une simple phrase s’active au gré de la lumière du soleil, une ombre portée qui apparaît et disparaît chaque jour, se fondant dans l’architecture et invitant le visiteur à s’interroger sur sa perception du lieu. Créant une relation directe et toujours subtile avec le spectateur, l’installation in situ est elle-même basée sur la fragilité et la fugacité de l’instant, agissant comme une métaphore de nos interactions sociales. Les œuvres d’Alicia Kremser nous amènent à reconsidérer la façon dont nous façonnons la vie des autres en nous plaçant face à ce qui peut ressembler à une coïncidence : « être au bon moment au bon endroit ». Le message de la phrase nous est directement adressé. Ce faisant, l’artiste matérialise de façon poétique ses propres pensées, transformant un espace public silencieux en un lieu sûr ou exprimer notre moi profond et développer une capacité d’écoute à l’Autre.

 

https://aliciakremser.de

Charlie Malgat

Notice

Référent présent (Agony), Partie I & II, 2022,

latex, mousse de soja, peintures acryliques, (2x) 150 x 30 cm

 

L’œuvre sculpturale de Charlie Malgat est transitoire, en voie de disparition. Les restes d’Agony sont posés au sol, au sein de la collection permanente, ouvrant un questionnement autour de ce que l’on pourrait appeler la « déconservation[1] » des œuvres et la mort des matériaux. Ayant vécu sous diverses formes, l’œuvre a subi des dommages et, au lieu de la restaurer, l’artiste décide de panser les blessures en les laissant visibles. De ces petites entailles jaillissent de nouvelles formes, comme un champignon qui viendrait se loger dans l’interstice d’un autre corps. Une décomposition programmée, donnant lieu à la monstration de deux corps blessés, des gisants, des témoins de ce qui a été. Ces sculptures molles taillées dans la mousse sont recouvertes de latex, matière aussi toxique que sensuelle conférant une dimension autant ludique que charnelle. Insistant sur ce qui est usuellement caché du regard, la dépouille d’Agony propose d’élever au rang esthétique ce qui nous dégoûte. Charlie Malgat investit une esthétique de la charogne, interrogeant les limites de notre rapport anthropocentré au vivant, humain et non-humain ainsi qu’à la mort et à la disparition de ce que nous pensons ‘posséder’.

 

https://charliemalgat.com/

 

[1] Note de l’artiste, 2023.

Jean-Marie Massou

Notice

Sélection d’œuvres sonores, Label La Belle Brute, FR

 

Jean-Marie Massou a vécu 45 ans dans la forêt de Marminiac dans le Lot. Entre espace naturel et atelier gargantuesque, il y a réalisé seul, une œuvre-monde: des centaines de cassettes enregistrées, des milliers de pierres gravées, des tonnes de gravats déplacés pour creuser des kilomètres de galeries souterraines, des dessins et des collages, les traces d’une mission universelle pour une monde meilleur.

Une sélection d’œuvres sonores de Jean-Marie Massou est intégrée au parcours. Celles-ci sont enregistrées à partir d’un matériel rudimentaire sur des cassettes audio. D’une humilité et d’une sincérité troublante, la voix de l’artiste, parfois peu compréhensible, nous emporte cependant dans un univers hypnotique. Sous la forme de chansons ou de complaintes, il adresse autant ses souvenirs que ses inquiétudes mettant à jour des sujets d’une actualité étonnante ainsi qu’une sensibilité personnelle artistique singulière et touchante. La présence de Jean-Marie Massou dans l’exposition est une réponse possible à la question : L’art se doit-il d’être vu, collectionné ou légitimé pour exister ? Il partage avec de nombreux artistes une forme d’engagement sans limite pour la création, donnant lieu à une œuvre inclassable et pourtant, par bien des aspects, universelle.

 

Horaire: 10h10, 11h10, 15h10, 16h10, 17h10.

 

https://labellebrute.bandcamp.com/album/sodorome-vol-1

Harriet Rose Morley

Notice

Durant le week-end d’activation sera organisé un dîner s’inspirant de la proposition « What do you do, and what do you do ? » d’Harriet Rose Morley.

La proposition explore le rôle de la nourriture et des services dans la sphère artistique en tant qu’outils favorisant l’intimité de la conversation – qui sont désormais plus que jamais précaires et menacés.

L’objectif du dîner est de donner la parole à chacun sur un même pied d’égalité, partant de ce qu’il fait en dehors de la sphère artistique pour subsister ou vivre.

Cathleen Owens

Notice

And so on and so on…, Vidéo, 04:31 min, en boucle, 2023

 

 

And so on and so on (2023) de Cathleen Owens est une courte vidéo dans laquelle l’artiste s’engage dans un dialogue frontal avec le visiteur, lui confessant un ensemble d’actions quotidiennes tout en lui adressant des questions directes : « Is it helpful to you ? » (Est-ce que cela vous aide ?) ;  « You need some help ? » (Avez-vous besoin d’aide ?).  Sous la forme d’un autoportrait, l’artiste se met en scène en utilisant les codes des médias sociaux devenus de nouvelles plateformes d’échange. La confession de l’artiste, en plus de pouvoir susciter une forme de malaise chez le spectateur, aborde un ensemble de clichés rappelant les injonctions au bonheur, au bien-être et à la réussite véhiculées dans les sphères personnelles et professionnelles. Une quête, autant qu’un conditionnement, tourné en dérision par la répétition et la superposition des actions et leur démultiplication, formulées sur un ton désabusé par l’artiste. La mise en scène est aussi celle d’une situation poussée à l’absurde évoquant autant une posture d’échec, de perte de repères qu’une incapacité à communiquer ou agir. A la croisée de l’art et de la vie sociale, le travail multidisciplinaire de l’artiste s’intéresse aux dispositifs linguistiques et communicationnels de différentes sphères persuasives de la culture contemporaine.

Yue Yuan

Camille Lemille

Notice

(1993, FR), vit et travaille en Belgique

Les petites mains de la Biennale, 2022-2023, performance interprétée par Perrine Estienne

Intéressée par les petits récits, le langage ordinaire, et l’influence d’Internet et du numérique sur le langage, Camille Lemille travaille le contexte qui l’entoure de la performance à l’installation et l’édition. Sa pratique est en permanente relation avec le langage et le texte, le geste et le son, l’écriture et l’oralité : une parole prononcée oralement retranscrite et mise en voix par d’autres, un texte non-destiné à être lu à voix haute, prélevé, monté et récité. En générant des glissements et des décalages entre ces différentes matières langagières, elle cherche à révéler des enjeux sociétaux et questionner avec humour le regardeur. Entre écriture et partition, performance et graphisme, les mots et le langage se transforment au contact de l’autre.

Avec Les Petites mains de la Biennale (2022-2023), Camille Lemille présente un livre à performer : une couverture de livre évidée, un tas de feuilles non reliées et une piste sonore dispersent, dans la Boverie, les paroles anonymes de travailleur·euses invisibles de la Biennale de Venise.

Des centaines de travailleur·euse·s sont impliqué·e·s dans l’événement Biennale : gardien·ne·s, contrôleur·euse·s de ticket, agents de nettoyage, médiateur·ice·s, guides, agents de sécurité, etc. Très peu sont embauché•e•s par la Biennale directement, qui passe par de nombreux sous-traitants. Très vite, en rencontrant d’autres travailleur·euse·s les questions de nos conditions de travail, de qui nous emploie, de combien ou comment nous sommes payé·e·s sont posées sur la table. C’est même le sujet de conversation principal des petites mains de la biennale.
Pendant deux mois, au cœur de la Biennale, Camille Lemille a écouté, posé des questions et a rejoint un groupe de discussions et de lutte avec des petites mains sur ces problématiques.

https://camillelemille.be/Bio

Notice

Freestanding, 2023,

Installation in-situ, Potences, led

 

 

Yue Yuan décrit sa pratique comme un ensemble de « créations d’évènements », à travers lesquels, il examine sa compréhension personnelle du monde et offre aux visiteurs un autre point de vue sur leurs habitudes et leur environnement. Freestanding (2023) est une œuvre réalisée spécifiquement pour le projet de l’exposition, visant à briser la neutralité du musée en ajoutant une donnée sensorielle au lieu. L’artiste remplace le cordon en tissu utilisé entre deux potences par un cordon lumineux et pose volontairement son installation dans un coin. Ayant perdu toute son utilité, l’œuvre s’amuse de ce double mouvement de rejet et d’attirance lié à sa luminosité. Dispositif sensé limité nos mouvements, l’œuvre dirige notre regard vers un détail de l’architecture, sur lequel nous n’aurions certainement pas posé les yeux dans d’autres circonstances. Et pourtant, la luminosité et les ombres projetées de l’installation ne manque pas d’éclairer et répondre à l’imposante structure des colonnades. Freestanding se libère de toute contrainte utilitaire, à l’image d’un individu indépendant. Elle agit également comme le lieu d’un geste simple, qui regorge pourtant de dérision, de poésie, d’émancipation et de remise en cause des systèmes productivistes établis.

 

https://www.yuanyue.ws/